jeudi 25 octobre 2012

| Avis ¦ Amour, beau et grand à mourir








Amour de Michael Haneke


Drame, France-Allemagne-Autriche, 2012, 2H07
Avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert
Sortie le 24 octobre 2012 


(Compétition officielle - Cannes 2012 : Palme d'Or)
(César 2013 : Meilleur Film, Meilleur réalisateur, Meilleure actrice, Meilleur acteur, et Meilleur scénario original)
(Oscars 2013 : Meilleur film en langue étrangère)

L'objectif: Georges et Anne sont octogénaires, ce sont des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Leur fille, également musicienne, vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.



Le subjectif : Il y a trois ans, Michael Haneke sortait Le ruban blanc, histoire noire (et blanche) sur l'Allemagne pré-nazie. Il y a trois ans, Michael Haneke raflait la Palme d'Or. Cette année, le plus français des réalisateurs autrichiens (et peut-être le plus talentueux aussi) a signé un nouveau drame "familial". Cette année, il a raflé la Palme d'Or avec Amour (et beaucoup de talent aussi). Et même s'il a fallu attendre de longs mois avant de voir cette oeuvre récompensée par Nanni Moretti et sa bande, ça en valait la peine. Haneke filme la vie, l'amour, la mort, de manière bouleversante. Longs plans, plans fixes, scènes de vie comme autant de tableaux du quotidien. Un quotidien dur à en mourir, mais qui n'est jamais représenté avec pathos.


Ce "pathétique" raillé par un des deux personnages principaux - Georges, sublime Jean-Louis Trintignant qu'on n'avait plus vu à l'écran depuis dix ans - quand il raconte à son épouse le déroulé d'un enterrement auquel il vient d'assister. A ce moment-là, Anne est déjà en fauteuil roulant. Elle est paralysée de tout le côté droit depuis l'opération qui a suivi son AVC. Avant ça, Anne était une octogénaire en pleine forme, qui assistait avec son mari à des récitals de piano, prenait le bus, préparait des œufs à la coque. Après ça, après les maudits "5% d'échec" de l'opération qui était indispensable, Anne se délite petit à petit. Les gestes les plus simples - comme lire un livre ou aller aux toilettes - deviennent une torture incessante, et Anne sait que "ça ne peut qu'empirer". Anne devient un incroyable personnage fait de douleur et de courage et de haine et d'amour, un incroyable personnage habité par une incroyable et épatante Emmanuelle Riva.

"Rien de tout ça ne mérite d'être montré" - Georges, à sa fille

Le couple accueille alors dans son quotidien la maladie et le handicap. Il faut à Georges la force et le courage de (ré)apprendre certaines gestes - comme lorsqu'il soulève pour la première fois Anne hors de son fauteuil roulant, simulant les tout premiers pas d'une danse douloureuse -, d'encaisser les reproches de sa femme - "ne parle pas, n'explique rien, ne dit rien / tu es un monstre parfois" - ou les jugements de leur fille Éva (Isabelle Huppert, elle aussi bouleversante). Georges, comme son saint homonyme qui combattit le dragon en armure, s'attaque là à un ennemi terrifiant. Mais contrairement à l'icône chrétienne, le personnage que joue Trintignant n'est rien de plus qu'un "vieil" époux afféré à s'occuper de son épouse malade et dépendante. Un homme sans autre attribut qu'un amour indéfectible qui lui fait soulever des montagnes ou, en l'occurrence, le corps de plus en plus inerte de sa promise.

Comme ses personnages, Michael Haneke livre avec pudeur mais sans compromis le récit d'un couple en fin de vie, qui se présente face à la mort. Dans un huis clos presque total (95% du film se déroule dans l'appartement parisien de Georges et Anne) et sans aucune musique, car "il n'en voit pas l'utilité" *, le réalisateur réussit à donner vie à une histoire poignante, dont personne ne devrait ressortir indemne. Amour parle d'amour, de la force évidente qu'il donne face à la mort, mais face à la vie, aussi, parfois, qu'on se force de vivre. Même lorsque l'envie nous traverse de "ne plus vouloir", pas pour l'autre mais pour soi, l'amour est toujours présent. "C'est beau", dit Anne, en regardant quelques vieilles photos jaunies de sa lointaine enfance. "Quoi ?", répond Georges, plongé dans son assiette de légumes bouillis, et passablement énervé par l'attitude de son épouse, malade, mais capricieuse. "La vie, si longtemps, rétorque Anne dans un sourire. La longue vie."

* Dans une interview accordée à L'Express (à lire ici), Michael Haneke confiait : "A quoi bon souligner une séquence avec de la musique? [...] Je fais du cinéma réaliste, et dans la réalité, il n'y a pas de musique. En règle générale, les réalisateurs en mettent pour cacher les défauts de leur scénario ou de leur mise en scène. Quand une séquence ne fonctionne pas, on ajoute un morceau et on crée l'émotion ou le suspense. Je trouve cela assez dégueulasse."

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