samedi 3 novembre 2012

| Le Film du samedi soir ¦ Incidents de parcours

Avant-propos : Avec ce concept de « Film du samedi soir », je choisis de vous parler d'un petit métrage qui me tient à cœur. Il s'agit, chaque semaine, de fouiller mes étagères de DVD pour mettre en avant une petite comédie sans prétention, une série B bien barrée, un film d'horreur poussiéreux, une aventure de gosses oubliée... Bref, sortir du placard des trucs qui me font vibrer et aimer le cinéma, des productions totalement mésestimées, méprisées ou méconnues, et que j'estime être le remède parfait pour vos silencieuses soirées de samedi. Et vous savez quoi ? ça tombe bien, ce soir, on est justement samedi...














Incidents de parcours de George A. Romero


Fantastique, épouvante-horreur, USA, 1988, 1H53
Avec John Pankow, Jason Beghe, Kate McNeil
Sortie le 5 octobre 2004 (en DVD)

L'histoire : Allan (Jason Beghe), jeune scientifique à l'avenir brillant, est un jour victime d'un accident qui le paralyse totalement. Grâce à Ella, une petite guenon que lui a donnée son ami Geoffrey (John Pankow), Allan reprend gout à la vie. Seulement Geoffrey est un génie de la recherche scientifique. Sa dernière trouvaille: augmenter l'intelligence des primates en leur injectant un sérum constitué de tissus du cerveau humain. Bien entendu, la petite guenon d'Allan, dressée par la charmante Melanie (Kate McNeill) n'a pas échappé à ses expériences. Et Ella va bientôt développer un comportement agressif envers tous ceux qui s'approchent de lui...


Fatalement, quand on pense George A. Romero, on pense "zombies". C'est presque inévitable, et pour cause : le bonhomme, qui file vers ses 73 ans, a réalisé en la matière plusieurs films cultes. D'abord La Nuit des morts-vivants, sorti en 1968, qui a révolutionné le genre (comme quoi à l'époque, il ne suffisait pas de sortir dans la rue). Ensuite l'indétrônable Zombie (version européenne de Dawn of the Dead, remontée avec une autre pointure de l'horreur, Dario Argento), à mon sens le meilleur film sur les morts-vivants de tous les temps. Avec le dernier en date, Survival of the Dead (DTV sorti en 2009), le réalisateur de Pittsburgh a tourné six long-métrages sur le sujet. Mais au milieu de toutes ces productions, encensées ou raillées, George Andrew Romero a sorti quelques pépites injustement méconnues du "grand public". Je pense notamment à Martin, histoire d'un homme croyant mordicus qu'il est un vampire, à The Crazies, "remaké" récemment par Hollywood, ou à Creepshow, film d'horreur à sketches, scénarisé par Stephen King himself et hommage aux comics américains des années 1950. Mais surtout, et c'est l'objet de ce 16e Film du samedi soir, je pense à Monkey Shines, Incidents de parcours en français. Sortie trois ans après Le Jour des morts-vivants, cette adaptation du roman homonyme de Michael Stewart (1983) est sans doute son meilleur film en dehors de la Saga des Morts-vivants. Voire, peut-être, son meilleur film, tout court.




Et pourtant, Dieu sait à quel point le dixième long-métrage de George A. Romero est restée une œuvre confidentielle. Le meilleur exemple ? La quasi impossibilité, aujourd'hui, de mettre la main sur le DVD, pourtant réédité en 2004 - un DVD sans bonus, pour ne rien arranger. Alors ? Fouillez les brocantes, les dépôts-ventes, les magasins d'occasions, armez-vous de courage et de patience, ou d'une bonne connexion. Débrouillez-vous, mais matez-moi ce chef-d’œuvre... Qui commence comme un drame tout ce qu'il y a de plus commun. Allan (Jason Beghe, demeuré lui aussi inconnu) a tout pour connaître une existence confortable et merveilleuse : il est beau, scientifique et sportif émérites, a une superbe fiancée et part courir chaque matin, autour de chez lui, des briques plein son sac à dos. Mais voilà, un chien qui lui fait peur, un camion qui ne s'arrête pas... et sa vie est brisée. Et sa colonne avec. Le collant le cul sur un fauteuil électrique, qu'il ne peut diriger qu'avec la force du menton. Si le jeune homme a conservé le droit de vivre, il a perdu tout le reste : travail, famille, patrie. La déprime s'installant, son ami George - brillant scientifique bien que clairement timbré - va avoir une idée qui va bouleverser leurs vies : fournir à Allan une guenon capucine si intelligente qu'elle fera tout pour son maître...

Il a tué mon Bogey ! Pas avec ses mains... Son petit démon s'en est chargé pour lui... - Maryanne, aide-soignante d'Allan

Bien sûr, derrière ce projet fou, il y a une part d'expérience interdite (George injecte à Ella, la guenon, du sérum contenant des tissus de cerveau humain), et une part d'entraînement intensif (le scientifique fait appel à Melanie, une charmante dresseuse de capucins dont Allan va rapidement tomber amoureux), ces deux éléments conduisant le film vers une issue inéluctablement tragique et effrayante. Sinon, le drame ne se transformerait jamais en film d'épouvante, ce qu'il est magistralement. Portée par un casting anonyme (même si John Pankow a récemment retrouvé le grand écran avec Morning Glory), la belle histoire d'Allan et de son singe (car belle histoire il y a, touchante et émouvante, mais aussi cruelle et sans pitié, comme le sont les animaux) va évoluer petit à petit en auto-destruction. Plus l'animal sert son maître, plus il en prend (indirectement) le contrôle. Inversement, alors qu'Allan croit maîtriser sa guenon, celle-ci se montre jalouse, possessive, et use de l'ascendant qu'elle a sur lui pour n'en faire qu'à sa tête, et s'en prendre notamment à toutes celles et tous ceux qui s'approchent, ou s'intéressent à lui. De simples mouvements d'humeur, la folie d'Ella va ainsi se matérialiser sur d'autres êtres vivants (comme Bogey, la perruche de l'aide-soignante). Mais même incontrôlable, Ella n'en reste pas moins entièrement dévouée à Allan. Et les questions se posent : se contente-t-elle de faire ressortir la part d'ombre qui le tenaille, d'être le bras armé des vengeances secrètes, celles-là même que le jeune homme rêve de faire subir à son entourage ? Ou est-elle devenue un monstre à part entière, capable d'agir et de réfléchir par lui-même ?



Enveloppé par une atmosphère suffocante et une tension de tous les instants, le spectateur assiste quoiqu'il en soit, dans son fauteuil, impuissant - à l'image du pauvre Allan - au déchaînement de violence et de méchanceté de la petite guenon. Entre amour et haine, entre servitude et complicité, les règles du jeu se brouillent rapidement. Jusqu'où peut aller la bête ? Les pensées cruelles et morbides de l'homme, à l'origine des actions du singe, peuvent-elles rester impunies ? Que se passera-t-il lorsqu'Allan tentera de reprendre le dessus ? Autant de questions posées au fur et à mesure qu'Incidents de parcours avance, servi par des acteurs inconnus - je me répète - mais diablement efficaces (sans parler du petit singe, prodigieux). Habile et efficace, le film de George A. Romero ne laisse aucun répit, fait monter l'intrigue jusqu'à un dénouement mémorable, d'une violence terrible et d'une beauté inouïe. C'est difficile à appréhender, mais l'horreur n'a jamais été aussi bien perçue qu'à travers ce prisme de l'amour que porte une petite guenon à son maître - qui lui doit tout, à commencer par le goût retrouvé pour la vie. C'est ingénieux, original et surtout très, très terrifiant. Même après 25 ans. Même (et surtout) un samedi soir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...