Bright Star de Jane Campion
Drame, romance, Australie-USA-UK, 2006, 1H59
Avec Abbie Cornish, Ben Whishaw, Paul Schneider
Sortie le 6 janvier 2010
L'objectif : Londres 1818: John Keats, un jeune poète de 23 ans entretient une liaison clandestine avec Fanny Browne, étudiante en haute couture. Issus de deux univers forts différents, Fanny n'apprécie pas le talent de Keats alors que ce dernier la considère comme une originale aux mœurs légères. Mais Fanny, touchée lorsqu'elle apprend que Keats prend soin de son frère gravement malade, le découvre sous un autre jour. Elle demande à Keats de lui enseigner la poésie qui très vite deviendra le moteur d’une liaison profonde et passionnée.
Le subjectif : Au dernier festival de Cannes, son retour avait fait beaucoup de bruit. Après de longues années d'absence (depuis 2003 et le film In The Cut, en fait), Jane Campion retrouvait en 2009 le tapis rouge qui l'avait vu triompher il y a plus de quinze ans, en 1993, pour sa Leçon de piano. Néo-zélandaise, la réalisatrice aime les films d'atmosphère et les rôles poignants. Quoi de plus normal donc de réaliser un long-métrage sur le romantisme, et sur un de ses plus grands représentants : l'Anglais John Keats.
Les vers du poète semblent résonner en continu dans le film de Jane Campion, mis en musique de façon assez extraordinaire. Des poèmes sont d'ailleurs incorporés au script et aux musiques de Bright Star, à commencer par celui qui porte son nom. Il laisse transparaitre l'amour qu'éprouvait John Keats pour la jeune Fanny Brawne, amour dont le film raconte à son tour l'histoire. La puissance du romantisme de ce poème se retrouve dans l'ambiance du long-métrage, mélange de douceur et de passion brûlante. Cette passion qui dévore littéralement de l'intérieur la fougueuse Fanny Brawne, et qui n'a d'égal que la maladie qui, progressivement, va s'emparer de leur amour. C'est également cet amour qui permet au poète de retrouver les mots, et d'oublier certains de ses maux. C'est beau et simple comme un baiser, mais fiévreux comme la tuberculose qui va le ronger peu à peu, cette passion est superbement mise en scène par Jane Campion. Du reste, le paysage de la campagne anglaise est sublime, comme en témoigne la couleur violette de l'affiche. Mais le film n'est pas qu'émerveillement ou contemplation, l'histoire d'amour n'est pas qu'une illusion. Elle est admirablement jouée, sans jamais tomber dans le voyeurisme. Plutôt qu'exposition, il s'agit là de suggestion sobre et discrète, à l'image de sa créatrice.
Jane Campion sait s'entourer de formidables acteurs, comme en faire découvrir certains. C'est le cas ici avec Abbie Cornish, actrice australienne (fiancée à Ryan Phillippe), sur qui il faudra compter. Elle est une Fanny Brawne vigoureuse et qui sait ce qu'elle veut : pas prête à se laisser marcher sur les pieds ou à refouler ses pulsions sentimentales. Brune farouche, elle tranche avec le lunatisme de John Keats, interprété par Ben Whishaw (révélé dans Le Parfum de Tom Tykwer). Le jeune couple joue presque à la perfection cette union passionnelle d'une autre époque, qui existait plus par de longues ballades et de baisers dans le cou, que par des baises d'un coup, ou de courtes balades. Comme dit plus haut, tout est suggéré ici, c'est la passion sans la chair, l'affect sans le toucher. Et puis à côté de ces deux acteurs, magnifiques en amoureux transits, nous avons le côté obscur, le méchant Brown, qui va tenter par tous les moyens d'éloigner Keats de la frivole Brawne. Dans ce rôle, Paul Schneider excelle tout particulièrement. C'est d'ailleurs lui, le second rôle joué par ce pur Américain (aperçu dans Rencontres à Elizabethtown), qui a valu au film sa plus prestigieuse récompense : un National Society of Film Critic Award. En parlant de médailles, Bright Star n'est nommé aux Oscars que pour les meilleurs costumes. Une bien maigre distinction pour un si beau film.
La leçon de piano, seul film qu'il m'ait été donné de voir de Jane Campion, m'a laissé un goût austère et très vieillot en bouche. Tout le contraire de cette fabuleuse histoire d'amour. Une histoire du début du 19e siècle mais tellement proche de nous. Peut-être pas par les sentiments qu'elle dévoile (la maladie d'amour prend ici tout son sens et est à des années lumières de ce que vivent nos jeunes gens en fleurs), mais par la symphonie, la mélodie littéraire qu'elle dégage. C'est l'histoire d'une femme, c'est l'histoire d'un homme, mais c'est aussi l'Histoire qui nous est racontée là. L'histoire littéraire, tout simplement, magnifiquement mise en scène. Et c'est naturellement, presque honteusement, que l'on va parcourir les librairies, sa bibliothèque, pour retrouver dans les poèmes de Keats un peu de cet enchantement-là.
Car ce film c'est ça, de belles images, de beaux acteurs et une belle harmonie qui nous fait nous sentir bien devant le grand écran. Il n'en faut pas forcément plus pour aimer un film, Bright Star se sert de tout cela pour nous faire à nouveau aimer le cinéma. Grâce à la puissance génératrice qu'il provoque, celle de stimuler le spectateur, de lui donner envie d'écouter, de lire, d'apprendre. Jane Campion ne cherche pas à expliquer Keats, elle lui rend simplement hommage. En réinventant son œuvre, en lui donnant le plus bel endroit qu'un artiste puisse espérer, à l'orée de notre siècle, pour se mettre à nu : une salle de cinéma. Quelle leçon !
J'ai adoré ta critique. Tu rends bien hommage à ce merveilleux film, je te suis sur toute la ligne. Tu as raison, tout est beau et suggérré, c'est une autre époque et pourtant on les sent si proches de nous. Bref j'ai été très émue. Et puis la scène finale (attention spoiler) quand Fanny se coupe les cheveux et récite "Bright Star", les larmes aux yeux et en marchant dans la fôrêt, je pense que c'est l'une des fins les plus belles que j'ai vu depuis longtemps !!! Tu m'as donné envie de le revoir !
RépondreSupprimerAh ben c'est un super compliment ça! ^^
RépondreSupprimerTu as raison concernant la fin, elle est sublime et très intense. On en sort forcément bouleversé...
Quand on sait que Fanny Brawne a continué à errer comme cela des années durant (c'est ce qui nous est dit à la fin, il me semble), c'est très fort. Tu l'as vu sur petit ou grand écran ?
Petit écran malheureusement. Au moment où il est sorti, personne ne voulait venir le voir avec moi et maintenant il n'est plus à l'affiche chez moi. Et oui si j'ai bien compris elle ne s'est jamais marié non? (Je l'ai regardé en anglais sous titré anglais et des fois j'ai un peu galéré). Mais ça donne envie de lire Keats en tous cas. Faudrait que je revoie La leçon de piano aussi. je l'ai pas vu depuis petite (c'était le film préféré à ma soeur, j'ai bouffé la BO pendant des années). Puis voir Anna Paquin petite, je dis pas non !
RépondreSupprimerQue de références!
RépondreSupprimermoi je l'avais vu pour un réveillon de jour de l'an entre potes (véridique) car l'un d'eux était zéo-zélandais et c'est lui qui était chargé d'amener une VHS... ^^
J'ai fureté un peu sur internet et malgré le romantisme (qui me bloque parfois), John Keats écrit des poèmes vraiment biens. En anglais c'est mieux de toute façon, quitte à être un peu perdue! ^^
Quelle maestria ! Encore une fois un bel exemple de maitrise de notre langue. Tu me dégoutes... Enfin tu as réussi à me donner envie d'aller voir de film qui semble d'une rare beauté. Bon Sang tu as beaucoup trop de pouvoir sur moi !
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