Complices de Frédéric Mermoud
Thriller, drame, France-Suisse, 2008, 1H33
Avec Gilbert Melki, Emmanuelle Devos, Nina Meurisse
Sortie le 20 janvier 2010
L'objectif : Dès leur premier regard échangé dans un cybercafé, Vincent et Rebecca se sont aimés. Ils sont jeunes, 18 ans à peine, et regardent la vie avec insouciance. Pourtant, deux mois plus tard, le corps de Vincent est retrouvé dans le Rhône et Rebecca a disparu. L’inspecteur Hervé Cagan et sa co-équipière Karine Mangin sont chargés de l’enquête. Alors qu’ils remontent le fil de l’histoire d’amour qui liait à la vie à la mort Vincent et Rebecca, Hervé et Karine se retrouvent confrontés aux failles de leurs propres vies.
Le subjectif : Complices est, pour résumer simplement, une (belle) histoire de (beaux) corps. Des corps meurtris, martyrisés, souffreteux – c'est un polar – mais également, et la majeure partie du film d'ailleurs, des corps qui s'aiment, s'enlacent, se collent et se décollent. Ces corps nus se mêlent à l'intrigue policière d'une manière assez efficace. Les policiers (Gilbert Melki et Emmanuelle Devos en tête) découvrent le corps mort et passablement abîmé d'un jeune homme, Vincent (Cyril Descours). Parallèlement à l'enquête menée par ces quadragénaires en mal d'amour (Melki est seul, Devos cherche désespérément l'amour sur Meetic), c'est celui de feu Vincent qui va être proposé au spectateur, par le biais de flashbacks. Ces retours dans le passé se font sans douleur, à chaque fois implantés au fil du film de façon apparemment réfléchie.
Vincent est un prostitué de 19 ans, qui se fait passer pour un mineur afin de séduire une clientèle masculine de plus en plus active. Au beau milieu de ses pérégrinations, il va rencontrer, dans le cyber-café où il prend contact avec ses clients, la jeune lycéenne Rebecca (Nina Meurisse). Immédiatement sous le charme l'un de l'autre, les deux tourtereaux vont commencer à roucouler. La chronologie des images de cette histoire va logiquement aboutir au « décès » de Vincent. Avant d'en arriver là, nos deux policiers vont tenter de recouper de leur côté les indices, en même temps que nous, spectateurs, accumulons autant de données grâce aux flashbacks.
La double enquête devient passionnante. Si le montage n'est pas aussi inventif que dans le Memento de Chris Nolan (chef d'œuvre absolu du montage à deux entrées), il a le mérite de titiller le public. On essaie rapidement de comprendre qui peut être à l'origine de la mort de Vincent - qui a, plus le film avance, de plus en plus d'ennemis potentiels. Mais l'enquête n'est pas similaire à celles des séries policières américaines, elle est beaucoup plus axé sur l'humain, sur le ressenti, sur les émotions des deux amoureux. Vincent aime Rebecca, qui ne sait pas qu'il se prostitue. Au moment où elle le saura, ira-t-elle jusqu'à le tuer par amour ? Ou peut-être que ceux qui « embauchent » Vincent voudront mettre un terme à sa vie, si celui-ci décide d'arrêter de tapiner. A moins que ce ne soit un de ses clients...
Cette série de questions, le spectateur peut se la poser car défile devant ses yeux l'histoire de Vincent et Rébecca. Les enquêteurs, eux, ne disposent que des témoignages des proches des deux disparus (la jeune fille s'est également volatilisée). Ils parlent à la mère et une amie de Rébecca, ils fouillent la caravane dans laquelle Vincent a accueilli la lycéenne. Ils progressent vite et bien, et au final, leur enquête coïncide fatalement avec les flashbacks proposés au spectateur. De telle manière que le spectateur peut imaginer que c'est cette enquête qui permet d'éclaircir le passé des deux amants malheureux. C'est une bonne idée, autant liée au scénario qu'au montage.
La partie polar qui construit le fil de l'histoire est efficace. Grâce notamment à l'univers de la prostitution et ce qu'elle comporte : des jeunes gens totalement désinhibés, et une bourgeoisie elle aussi libertine. Un milieu noir, nocturne qui tranche avec les personnes que les policiers interrogent pour faire avancer l'affaire. On prend conscience que « tout n'est ni blanc ni noir ». Cette constatation nous amène à reconsidérer les possibles coupables parmi la liste de suspects établie soit par la police, soit grâce aux flashbacks... Tout cela, encore une fois, est formidablement plaisant pour le spectateur.
Des acteurs en état de grâce
J'ai gardé le meilleur pour la fin. Un élément surpasse tous les autres dans Complices : le jeu des acteurs. Après avoir validé la tentative du réalisateur, le Suisse Frédéric Mermoud dont c'est le premier film, il faut louer la qualité de ses interprètes. D'abord les deux jeunes amoureux transits : Nina Meurisse et Cyril Descours (à l'écran en ce moment dans Petite zone de turbulences). Sans parler de leur jeu « nu », sans complexe et qui soutient le propos du film (une jeunesse insouciante, libérée face à l'amour et au sexe), ces deux jeunes gens sonnent « vrai ». Notamment Cyril Descours, particulièrement à l'aise dans ce rôle d'escort boy, charmeur et fragile à la fois. Calme, son personnage peut devenir en quelques instants particulièrement violent, et l'acteur le joue très bien. En ce qui concerne les policiers, inutile de rappeler qu'Emmanuelle Devos est une grande actrice. Un peu niaise par moment, elle est toujours « juste » : en quadra en manque d'amour, elle apparaît parfois paumée, mais jamais plus que son acolyte.
Et là, nous touchons au sublime. Gilbert Melki est énorme. Et cette performance est d'autant plus une surprise (pour moi, il reste le Patrick Abitbol de La vérité si je mens!) qu'elle est une révélation. Il campe un flic violent, seul et solitaire (son frère tente tant bien que mal de lui parler de son adultère, Melki lui répond « j'aurais préféré ne rien savoir »), célibataire (ses tentatives d'approches de sa collègue sont à la fois pathétiques et touchantes), et coupable d'avoir abandonné une ancienne jeune fiancée qu'il avait mis enceinte. La fin du film promet d'ailleurs à cet homme une sorte de libération, de repentir salvateur. Melki ne porte pas ce film de complicités (entre collègues, entres amants, entre clients) à lui tout seul, mais il en est une des plus belles réussites. Bref : courrez voir ce petit bijou de polar francophone !
Ca m'a donné envie d'aller voir le film. D'autant que les polars français se font rares en ce moment. Ce qui est injuste, parce que généralement on s'en sort plutôt bien dans ce genre - dernièrement, "Protéger et servir" semble particulièrement bien l'illustrer, bien que je n'ai pas encore vu cette pépite. Glup.
RépondreSupprimerBlague à part "Complices" a l'air d'être vraiment bien, c'est dommage qu'il ne soit plus à l'affiche à Nice.