samedi 13 mars 2010

| Avis ¦ Mother, la folie douce à mère


Mother de Bong Joon-ho


Drame, thriller, Sud coréen, 2009, 2H10
Avec Won Bin, Kim Hye-Ja, Jin Ku
Sortie le 27 janvier 2010


L'objectif : Une veuve élève son fils unique Do-joon qui est sa seule raison d'être. A 28 ans, il est loin d'être indépendant et sa naïveté le conduit à se comporter parfois bêtement et dangereusement ce qui rend sa mère anxieuse. Un jour, une fille est retrouvée morte et Do-joon est accusé de ce meurtre. Afin de sauver son fils, sa mère remue ciel et terre mais l'avocat incompétent qu'elle a choisi ne lui apporte guère d'aide. La police classe très vite l'affaire. Comptant sur son seul instinc maternel , ne se fiant à personne, la mère part elle-même à la recherche du meurtrier, prête à tout pour prouver l'innocence de son fils...


Le subjectif : Fidèle à son rythme d'un film tous les trois ans, l'immense réalisateur coréen Bong Joon-ho (découvert avec le formidable polar Memories of Murder en 2003) est de retour. Après le succès monstre (c'est le cas de le dire) de The Host, l'ancien étudiant en sociologie reste dans son domaine : le drame humain. Si son dernier long-métrage fut présenté comme le meilleur film de monstres depuis Alien et le plus gros succès du cinéma coréen (il aura rapporté 90 millions de $ pour un budget de 11 millions), il n'en restait pas moins lui aussi un drame familial. Entre temps, en 2008, Bong Joon-ho a participé au projet Tokyo!, film à 3 sketches avec notamment Michel Gondry. Dans Mother, présenté et très bien reçu à Cannes, Bong Joon-ho revient à un scénario moins fantastique, et plus orienté investigation. Contrairement à Memories of Murder, le meurtre au centre du film n'est pas tiré d'un fait divers. Il met en scène un jeune adulte très naïf - autre idiot du village comme aime les filmer Bong Joon-ho - qui est rapidement soupçonné puis inculpé pour le-dit meurtre. Ce jeune se fait influencer, pour ne pas dire mener par le bout du nez par différents protagonistes, dont son « ami » (joué par Ku Jin) qui l'entraîne dans ses mauvais coups. Reste sa mère, qui va tout faire pour résoudre l'enquête plus ou moins abandonnée par la police, et sauver son fils des griffes de la honte et de la prison.


Si l'histoire en elle-même est moins émouvante que celle de Memories of Murder (la bêtise du jeune homme, interprété par Bin Won, est trop lourde pour être touchante), le personnage central de la mère recèle suffisamment de force pour envouter le spectateur. Comme à son habitude, Bong Joon-ho mêle à son thriller un mélodrame fort, ici centré autour du personnage joué par Kim Hye-ja. Elle doit se battre seule contre tous, alors même que la justice a été rendue et que toutes les preuves – à commencer par les aveux (plus ou moins forcés) de son fils – accablent ce dernier. Véritable star de la télévision coréenne, cette actrice est novice sur grand écran. Mais absolument fantastique. On ressent parfaitement la douleur de la mère qui voit son fils trainé dans la boue, et qui va se battre jusqu'au bout pour lui. Quitte à se retrouver dans des situations inconvenantes (elle attend dans un placard pendant que l'ami de son fils, chez qui elle était en train de fouiller, fait l'amour à l'ex fantasme de son fils...) ou à perdre tout son argent (elle va payer ce même ami pour qu'il l'aide « physiquement »). Ayant tout donné dans cette investigation, elle va peu à peu tomber dans une certaine folie. Une folie progressive, et douce, que le spectateur peut se représenter dès la première scène du film. Une des plus réussies.

C'est le point fort de Bong Joon-ho : c'est un formidable metteur en scène. Il crée des morceaux de cinéma de toute beauté. Les découpages des champs de blés de Memories of Murder, les passages sombres dans les égouts de la ville de The Host, incrustés dans la mémoire du spectateur, peuvent en témoigner. Il est un réalisateur qui compte et qui imprime la rétine de ceux qui osent entrer dans son univers. Bouleversant, tout comme cette première scène. L'héroïne marche dans un champ, avant de s'immobiliser et de se mettre à danser. D'une manière tellement irréelle (elle est au milieu de nulle part) que la scène devient irritante, gênante. On sait qu'on assiste à quelque chose d'intime, qui ne devrait pas être montré. D'une part, ce sentiment est justifié par la suite et le déroulement du film. D'autre part, le sentiment du spectateur face à ce personnage va progressivement devenir cette gène, cette distance, au fur et à mesure qu'il va déceler en elle cette folie douce. La dernière scène du film fait échos à l'ouverture, même si elle apparaît moins jouissive et extraordinaire. Tout simplement car le reste du film a fini par nous convaincre de l'état réel de la mère.



Sans en dire plus sur l'intrigue, Mother concentre une enquête (menée par la mère et l'ami du fils) qui conduit à revivre les faits de la soirée du meurtre. Plusieurs personnages secondaires font leur apparition, révélant des détails oubliés par la police – encore une fois ridiculisée par le réalisateur. Le charme des films coréen est lui aussi présent : musique, ambiance, apparente idiotie de certains « paysans », obscurantisme aussi du système administratif national. Après avoir dénoncé l'empire américain dans The Host, Bong Joon-ho a confirmé avoir voulu s'attaquer à la bureaucratie du système coréen. Le fait que les enfants intellectuellement déficients (comme Yoon Do-joon, le fils) soient la cible idéale pour cette organisation poisseuse et rouillée est également source de satire. Bong Joon-ho veut nous montrer ces êtres faibles, par qui souvent les tragédies arrivent.

Il veut également nous montrer à quel point les préjugés peuvent conduire à de mauvaises interprétations, et eux aussi à des drames. Et comment, finalement, le regard même du spectateur peut évoluer sur un personnage. Car cette mère incarne aussi bien la protection, la maternité et l'envie de justice que la folie et la violence. On se retrouve face à des allusions d'inceste et d'infanticide, et face à une actrice à qui on serait malgré tout prêt à pardonner tous ces troubles. Tant la partition est propre, belle et tant Bong Joon-ho maîtrise son sujet, une fois de plus. Pourtant, la puissance folle de la première scène ne retrouve jamais dans le film un échos digne de ce nom. Et le twist final, beaucoup moins sensible que celui de Memories of Murder, ne fait qu'alourdir la sensation désagréable d'être resté en surface. Le scénario est parfois trop lent, l'histoire avance au ralenti. Même si l'ambiance générale est - comme d'habitude avec le réalisateur coréen - l'élément incontournable du film (musique, décors, émotions latents), on se retrouve parfois gênés devant trop de longueurs dans le scénario. Mais qui saura apprécier ces moments d'expositions, saura pardonner à Bong Joon-ho, comme à cette mère, d'avoir procuré à ce quatrième long-métrage plus d'intimité et de tendresse que dans toutes ses autres créations.

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