Shutter Island de Martin Scorsese
Thriller, USA, 2010, 2H17
Avec Leonardo Di Caprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley
Sortie le 24 février 2010
L'objectif : En 1954, le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés enquêter sur l'île de Shutter Island, dans un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. L'une des patientes, Rachel Solando, a inexplicablement disparu. Comment la meurtrière a-t-elle pu sortir d'une cellule fermée de l'extérieur ? Le seul indice retrouvé dans la pièce est une feuille de papier sur laquelle on peut lire une suite de chiffres et de lettres sans signification apparente. Oeuvre cohérente d'une malade, ou cryptogramme ?
Le subjectif : Martin Scorsese est un grand réalisateur, c'est un fait avéré. Leonardo Di Caprio est un grand acteur, et ensemble les deux hommes d'origine italienne ont déjà foulé les sentiers de la gloire. Cette fois, Scorsese s'attaque à un polar, une fois n'est pas coutume après Les Infiltrés. Et comme le film qui lui avait valu 4 Oscars en 2007, Shutter Island est une adaptation. Œuvre littéraire racée et réputée de Dennis Lehane, publiée en 2003, le livre avait déjà été adapté en BD en 2008. Fidèles à ces deux ouvrages, le scénario promettait un certain « twist » final, un retournement de situation permettant une seconde lecture de l'œuvre. Dès sa sortie, les réactions vont d'ailleurs dans ce sens : il est presque nécessaire de retourner voir une ou plusieurs fois le film de Scorsese, afin d'en déceler tous les mystères, et d'en savourer toutes les aspérités.
Mais avant de le voir plusieurs fois, il faut le voir, au moins une fois. Shutter Island est de ces films qui marquent, et comme les précédents films du duo, il est implacable de vérité. Leo est impressionnant dans son personnage multi-facettes d'inspecteur troublé. Dès les premières séquences, la tête penchée sur le lavabo dans le ferry qui les mène, lui et son collègue (interprété par Mark Ruffalo), sur l'île, on ressent toute la pression et l'obscurité du personnage. Entre les Noces Rebelles de Sam Mendes, où il joue à l'époux torturé, et le nouveau Chris Nolan Inception, Leo Di Caprio dépote. C'est simple : aujourd'hui, sa seule présence sur un film peut assurer le succès (au moins critique) de celui-ci. Ruffalo n'est pas mal non plus, et son caractère un peu en retrait convient parfaitement à son personnage – nouveau coéquipier, un peu novice. Il y a fort à parier, même, qu'une seconde vision rende encore plus de mérites à son travail sur ce film. Le professeur joué par Ben Kingsley est quant à lui irréprochable, tout comme les autres personnages secondaires : Michelle Williams et Max von Sydow (le professeur aux cheveux blancs dans le vent et à l'allure purement diabolique) en tête. Autre second rôle primordial : George Noyce, interné à Shutter Island et interprété par Jackie Earle Haley. Le Rorschach de Watchmen, qui sera prochainement le nouveau visage des griffes de la nuit dans le remake du premier Freddy, est effrayant à souhait.
La mise en scène est presque parfaite, mais on a l'habitude avec Scorsese. La caméra suit également très bien le propos et la nature du film. On est ici devant un thriller très noir, rappelant même par moments les films horrifiques du milieu du siècle dernier. La musique, pesante et violente dès l'apparition de l'asile de Shutter Island, est là pour forcer le trait. Sans aucune nuance, ce qui peut être désagréable par moment. Ce qui profite néanmoins à l'atmosphère, totalement lugubre. On imagine Scorsese voulant ne rater aucune occasion pour foutre la trouille à ses spectateurs, et, même prévenus, on n'oublie jamais de trembler lorsque notre Leo s'enfonce dans les ténèbres... Tempête, prison sans électricité, phénomènes étranges et inexpliqués... Rien, absolument rien ne nous est épargné. Et c'est tant mieux, car Shutter Island est une expérience qui se vit sans détour. Prévenues, les âmes sensibles doivent s'abstenir. Scorsese et Di Caprio, de toute manière, cela n'a presque jamais été que ça (si l'on excepte Aviator... quoique), du sang et de la tension. D'un point de vue graphique on retrouve d'ailleurs la patte du maître de Gangs of New York, tout en apportant de nouvelles touches fort plaisantes : les incendies, les taches de sang et l'eau qui se mêlent et s'entrechoquent sur la pellicule sont tout simplement sublimes. La superposition d'images « réelles » et « fantasmées », si elle peut être troublante par moment (mais c'est le but, parfois), est très bien orchestrée. On ne sait plus où se trouve la vérité, et où comme le rêve, ou la folie...
Concernant l'histoire et les ressorts du films à proprement parler, Scorsese n'a rien inventé. Il a « simplement » adapté au cinéma les rouages du succès du livre de Dennis Lehane. Dans son bouquin, justement, Lehane distillait savamment tous les indices nécessaires à la compréhension de la réalité (celle que l'on ne découvre seulement à la fin, évidemment), tout en induisant le lecteur en erreur et en le dirigeant dans une autre direction. Ici, le film fonctionne presque de la même manière. Les indices sont là, disposés habilement et visibles à tout spectateur attentif. Mais comme s'il ne voulait pas être déçu par le jeu d'un Di Caprio en état de grâce, celui-ci ne décèle rien. Ou du moins pas tout, et pas immédiatement. Comme lorsqu'il avait appris, à la fin du 6e Sens de Shyamalan, LA révélation qui a fait la réputation du réalisateur, il va se mettre à se refaire dans sa tête tout le film pour y retrouver ces petits indices mentionnés plus haut. De l'arrivée sur l'île à l'interrogatoire des patients, c'est tout le jeu de Di Caprio qui va être analysé, décortiqué et scruté jusqu'à plus soif. Et pour ceux qui auraient la mémoire courte ou la jugeote pas assez affutée, une seconde vision s'impose. Lors de celle-ci, on ne saurait que trop conseiller d'être attentif aux paroles de Di Caprio dans les tous derniers instants du film, et à la réaction de son compère Ruffalo quand celui-ci les déclame. Juste pour, peut-être, estimer avoir percé un ultime mystère...
A ce niveau-là, Shutter Island est un polar très efficace. Sa trame scénaristique est réfléchie et ses rebondissement suffisamment nombreux et bien répartis pour qu'on passe un bon moment. Voire, un excellent moment. Reste la nature du scénario et le cœur de l'œuvre : l'aliénation mentale et, peut-être plus latent, la question de la Shoah. Si le réalisateur avait été Steven Spielberg, on aurait dit « c'est normal, il est juif, et il parle de la mémoire collective. » Seulement il s'agit de Scorsese, et cette surenchère d'images de la seconde Guerre mondiale paraît peu utile, et surtout trop « voyante ». Même si, dans un sens, ce passé peut expliquer l'état mental pour le moins compliqué de ceux qui ont vécu cette période. Les préceptes de la folie mentale peuvent venir eux aussi plomber un peu le fond de l'air de cet excellent thriller, qui ne manque cependant pas de qualités. Il se pourrait même que, visions après visions, le film s'améliore, témoignant de l'emprise qu'a eu Scorsese sur ses acteurs. Demandant à toute l'équipe, sans doute, de jouer comme si la réalité qu'allait découvrir le spectateur à la fin du script, était celle qu'il fallait lui délivrer, et ce dès les premières secondes du spectacle. Si le chef d'œuvre n'est pas atteint, Scorsese n'en était plus très loin.
Après avoir digéré le film, je suis assez d'accord avec toi. Je m'étais de prime abord emballé, sans doute en raison de l'excellente ambiance et l'histoire - entièrement originale à mes yeux, puisque je n'avais jamais entendu parler du livre. L'exercice auquel se prête Scorcese est plutôt réussi, l'adaptation d'une œuvre littéraire est toujours un risque pour quelque réalisateur que ce soit. Or si je comprend bien, tu as lu le livre et plus qu'apprécié le film... Il est assez difficile de remettre ton jugement en cause. Quant à dire qu'il faille retourner voir ce long-métrage plusieurs fois, je ne peux qu'acquiescer. En ce qui me concerne, je n'ai certes pas relevé tous les indices semés par Martin "Poucet" Scorcese, mais j'ai, apparemment, compris l'histoire... Néanmoins, ce n'est pas le cas de tous les spectateurs, ainsi Anthony "tu m'offre un café ?" Boyer m'a demandé à plusieurs reprises de lui expliquer la fin. Il me semble que cette requête soulève une interrogation de première importance : as-tu noté le même phénomène chez d'autres journalistes sportifs ?
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