mardi 26 janvier 2010

| Avis ¦ Le Livre d'Eli, et Dieu donnait la foi


Le Livre d'Eli d'Albert et Allen Hugues

Aventure-action, USA, 2009, 1H49
Avec Denzel Washington, Mila Kunis, Gary Oldman
Sortie le 20 janvier 2010 


L'objectif : Dans un futur proche, l'Amérique n'est plus qu'une terre désolée dont les villes sont des ruines et les routes autant de pièges infestés de bandes criminelles. Depuis des années, Eli voyage seul, se protégeant des attaques et se battant pour trouver de quoi survivre. Lorsqu'il arrive dans ce qui fut autrefois la Californie, Eli se heurte au redoutable Carnegie, un homme qui ne recule devant rien pour imposer sa volonté à la petite communauté qu'il contrôle.


Le subjectif : Un film post-apocalyptique ? Génial !!! Pardon... Un film post-apocalyptique... encore ? Décidément, la situation économique et mondiale actuelle accouche (dans le cinéma du 3e Millénaire de) plus de films catastrophes que de films sur la joie de vivre. Certes, l'extinction humaine permet plus de spectacle et d'émotions que la vie tranquille et bienheureuse n'en proposera jamais (en témoigne la lourdeur visuelle d'Invictus, comparée à la beauté plastique et technologique de 2012 – toutes proportions gardées). Et la fin du monde, qu'elle soit traitée du point de vue global (2012, donc), écologique (Phénomènes), scientologue (Prédictions), humain (La Route), subjectif (Cloverfield), hi-tech (Terminator Renaissance) ou complètement raté (Le jour où la Terre s'arrêta), est toujours l'occasion de regarder le dernier survivant dans la prunelle des yeux et de lui balancer un bon petit : « Yipikaï, pauvre con ! ». Façon John McClane (qui mieux que Bruce Willis peut s'occuper d'une fin du Monde... sérieusement ?)


Bref, nous voilà dans la prunelle des yeux de Denzel « Malcolm X » Washington. Et des yeux du héros, il sera question dans Le Livre d'Eli. Derrière ses lunettes de Soleil, le ténébreux oscarisé de Training Day en impose carrément. Comme quoi, s'il faut de tout pour faire un film, un seul American Gangster permet d'en faire un bon. Après avoir sauvé New-York de l'explosion du Métro 123 (le bien nommé), Denzel est de retour, dans un univers chaotique à la Mad Max. Poussière, combats à la machette et gunfights composent la majeure partie de ce bon film d'action. Le Livre, placé au centre de l'intrigue, vient apporter une touche téologique bien pensée : lorsqu'il ne leur reste plus rien, la foi est toujours l'épaule sur laquelle les derniers survivants peuvent s'appuyer.



Car en fait de « livre d'Eli », le bouquin que transporte notre bon vieux Denzel et que convoite le non moins vieux (et tout aussi excellent) Gary Oldman, est une Bible King James (du Roi Jacques en français). L'œuvre fondatrice, pilier d'une civilisation, dernier vestige d'un univers perdu. Eli est celui chargé de protéger l'œuvre, de la transporter vers une destination alors inconnue pour le spectateur. Eli est le messager, celui qui marche vers l'Ouest depuis 30 ans, date à laquelle la fin du monde est survenue. Comment, pourquoi, dans quelles circonstances... Nous ne le savons pas. Nous, spectateurs, n'avons accès qu'à la dernière partie de la quête d'un homme, qui fera tout pour ne pas s'éloigner de son chemin. Quitte à « oublier le reste » : comme fermer les yeux sur le double meurtre d'une fille et son père, au bord de son « chemin. » Brute épaisse mais combattant agile et raffiné, Denzel n'en oublie pour autant pas les bonnes manières. Quand l'occasion se présente, il décapite, démembre, mitraille, dézingue tous les mécréants se mettant en travers de sa route.

La route, justement, cette route que Viggo Mortensen empruntait craintivement dans le film éponyme de John Hillcoat, Denzel Washington l'arpente sans sourciller, sans prendre le temps d'avoir peur. En tout cas jusqu'au moment où il rencontre la lumière... Cette lumière est habilement métaphorisée dans le personnage de Mila Kunis (« Jackie » de la série That 70's Show, et point très très faible du film), prénommée « Solara ». Quand on sait (en écoutant ce que l'on dit avec parcimonie sur l'origine de l'apocalypse) que le Soleil est à l'origine de la fin du Monde, il n'est pas très compliqué d'établir un parallèle. La rencontre avec Solara va en effet faire basculer Eli, il ne vas plus « oublier le reste », il va progressivement prendre sous son aile la jeune fille. Jusqu'à risquer d'y perdre sa vie, et son livre (ce qui se résume à la même chose).



Au final, le Livre d'Eli est d'une part un film d'action décomplexé (qui laisse voir que Denzel n'a pas perdu toutes ses capacités) et d'autre part une réflexion (minime ?) sur la foi, et sur la lutte intense nécessaire pour la préserver. Dans le rôle du prophète-guerrier : Eli, nom forcément évocateur puisqu'en hébreux « Elie » est un prophète, et « Eli » est le nom de Dieu en Araméen. Le Livre d'Eli est donc en même temps le livre que protège Eli, Denzel Washington, le prophète, et le Livre de Dieu : la Bible. Face à lui, l'homme qui souhaite s'emparer de la Bible pour justifier ses dires et contrôler les faibles : Carnegie, brillamment joué par Gary Oldman, le commissaire Gordon des Batman de Chris Nolan. Toujours passionné d'onomastique (la science qui étudie les noms propres – vous voyez je sers aussi à apprendre des mots), je ne peux m'empêcher de croire que ce « Carnegie » renvoie à Andrew Carnegie (1833-1919), philanthrope écossais-américain devenu « l'homme le plus riche du Monde » grâce à ses chemins de fer, et surtout l'emblème du rêve américain. Cette image convient parfaitement au personnage, qui veut utiliser la Bible pour étendre son pouvoir d'un simple village à toute l'Amérique.

L'opposition des deux protagonistes est bien mise en scène, grâce à la fois au talent des deux acteurs et à l'apparition de plusieurs seconds rôles. Parmi ceux-là, on retiendra Michael Gambon (le Dumbledore de Harry Potter) qui joue le rôle d'un ermite cannibale sur-armé et complètement cinglé. La musique, l'ambiance et les décors finissent de servir un film qui possède dans son twist final à la fois un atout (que je vous laisse découvrir), et une faiblesse. Celle-ci se nomme Mila Kunis, qui (même en VO) plonge le film dans un Doomsday-like des plus rageant. Une tenue trop soignée, des cheveux et un maquillage trop parfaits qui discréditent totalement l'idée de l'apocalypse bien véhiculée par ailleurs par le reste des acteurs, et du film. Dommage, donc. Reste néanmoins un bon film d'action, injustement boudé par la critique à mon goût. Denzel est pourtant un putain de prêcheur de foi !

1 commentaire:

  1. Superbe ! Il y a tout, des références historiques (il me semble désormais légitime de te surnommer Monsieur Cyclopède. Signore Falizio dirait "Cyclopédé", mais je n'es ferais rien, étant plus ou moins au fait de tes préférences !), du jeu de mot (cf le titre, que j'avoue ne pas avoir saisi tout de suite...), de la critique juste et même une faute (théologie, avec un h s'il vous plaît !). Enfin j'adore cette partie : "comme fermer les yeux sur le double meurtre d'une fille et son père" ; quand on connait la fin du film, voilà une phrase qui prend tout son sens !
    Que dire, sinon que je partage ton avis et que j'adore ton premier paragraphe. Continue, je suis loin du bad trip !

    RépondreSupprimer

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...