Holy Motors de Leos Carax
Avec Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes
Sortie le 4 juillet 2012
(Compétition officielle - Cannes 2012)
L'objectif : De l'aube à la nuit, quelques heures dans l'existence de Monsieur Oscar,
un être qui voyage de vie en vie. Tour à tour grand patron, meurtrier,
mendiante, créature monstrueuse, père de famille... M. Oscar semble
jouer des rôles, plongeant en chacun tout entier - mais où sont les
caméras ? Il est seul, uniquement accompagné de Céline, longue dame
blonde aux commandes de l'immense machine qui le transporte dans Paris
et autour. Tel un tueur consciencieux allant de gage en gage. À la
poursuite de la beauté du geste. Du moteur de l'action. Des femmes et
des fantômes de sa vie. Mais où est sa maison, sa famille, son repos ?
Le subjectif : Autant le dire d'entrée, j'étais plus sceptique qu'une fosse avant d'aller voir Holy Motors. Entre les nombreux commentaires sur la twittosphère dès sa présentation à Cannes, qui me vendaient un film psychologique, devant lequel on ne pouvait rester insensible (soit on like, soit on unfollow), et les avis d'une presse dithyrambique (peu de place au doute : la majorité des mags "branchouilles" balançant un 5/5) d'un côté ; et les avertissements de quelques amis inspirés et réticents, sans oublier Cinemateaser qui bloquait sur un film "théorique, autocentré, hermétique" de l'autre... Mon a priori était partagé. Pire, s'il n'y avait pas eu cette bande-annonce entraînante et captivante, et la promesse d’apercevoir les courbes gracieuses d'Eva Mendes souillées par un M. Merde rencontré dans les rues de Tokyo!, jamais je n'aurais payé pour voir le dernier Leos Carax. Et c'est pourtant ce que j'ai fait : payer pour voir.
Après une intro introspective (on y voit Leos Carax dans la peau d'un "dormeur" - c'est ainsi qu'il est crédité au générique - se réveiller dans une chambre, accéder à une salle de cinéma plongée dans l'obscurité, puis observer les spectateurs inertes), l'intrigue se resserre autour du mystérieux personnage de Monsieur Oscar. D'abord banquier grisonnant manipulateur de chiffres et de taux d’indexation, il se métamorphose, à l'intérieur de sa limousine blanche, en une vieille mendiante toute voûtée. La fusion est rapide, elle ne nous laisse pas le temps de digérer la ressemblance frappante avec le Cosmopolis de Cronenberg. Et les personnages s'enchaînent. Oscar est un acteur qui se change dans sa voiture, et qui joue au dehors, en chaque instant, un nouveau rôle : de banquier à mendiante, en passant par ouvrier de motion capture ou Monsieur Merde. Qu'il s'agisse d'une réflexion du réalisateur sur le métier de comédien, ou sur les différentes phases de la vie d'un homme, cette succession de performances met à jour une vérité inéluctable : Denis Lavant est fantastique.
Génie incompris ?
Et c'est clairement le point fort du long-métrage. L'acteur francilien, fidèle parmi les fidèles de Leos Carax, impressionne de part en part. Comme prévu, son "altercation" avec la magnifique Eva Mendes, dans la peau de Monsieur Merde, donne lieu à une relecture surréaliste du mythe de la belle et la bête. Outre l'actrice américaine (pas vraiment à son avantage), les partenaires de Denis Lavant tentent tant bien que mal d'exister. Dans ce registre, mention spéciale pour l'interprétation convaincante de Kylie Minogue, entre chanson et dialogues en français, et la malice d’Édith Scob, la conductrice de M. Oscar. Pour le reste, les points positifs d'Holy Motors sont surtout à aller chercher du côté de séquences farfelues et lyriques, comme ce concert d'accordéon organisé au beau milieu d'une église, ou la glaçante "chanson de fin", Revivre, signée Gérard Manset. Une chanson aux paroles explicites : "On voudrait revivre / Ça veut dire : on voudrait vivre encore la même chose / Le temps n'est pas venu qu'on se repose / Il faut refaire encore ce que l'on aime."
Pourtant, malgré ces éclairs de classe, de génie, de talent, malgré quelques frissons - je les admets volontiers - subsiste un malaise profond. Face à Holy Motors, je me suis senti comme dans une brume électrique, presque malade. D'accord, Leos Carax nous laisse le choix de l'interprétation ; mais dans mon cas, cela s'est avéré être plutôt un embarras. Trop centré sur lui-même, trop réflexif, ce cinéma ne peut se laisser apprécier à sa juste valeur, celle d'un bon film, bien réalisé et bien joué. Car Holy Motors est beau, avec de jolis plans de Paris (notamment ceux de la Samaritaine) et une mise en scène sobre mais efficace. Mais ce côté psychologique qui m'avait mis la puce à l'oreille m'a empêché d'en profiter. Et au final, même si Denis Lavant brille dans ces costumes, les personnages dévoilés sont trop énigmatiques, trop spéciaux, trop surréalistes (j'ai lu et entendu des références à Dalí, à André Breton... c'est une évidence) pour bouleverser mon petit cœur de cinéaste anonyme. Holy Motors est l’œuvre sans doute réussie d'un septième art bien particulier, peut-être génial mais trop obscur pour moi. Leos Carax fait (bien) son cinéma, mais je ne m'y retrouve pas.
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