jeudi 16 mars 2017

| Avis ¦ Patients, l'espoir adapté



Patients de Grand Corps Malade et Mehdi Idir

  

Comédie dramatique, biopic, France, 2017, 1H50
Avec Pablo Pauly, Soufiane Guerrab, Moussa Mansaly
Sortie le 1er mars 2017



L'objectif : Se laver, s'habiller, marcher, jouer au basket, voici ce que Ben ne peut plus faire à son arrivée dans un centre de rééducation suite à un grave accident. Ses nouveaux amis sont tétras, paras, traumas crâniens.... Bref, toute la crème du handicap. Ensemble ils vont apprendre la patience. Ils vont résister, se vanner, s'engueuler, se séduire mais surtout trouver l'énergie pour réapprendre à vivre. Patients est l'histoire d'une renaissance, d'un voyage chaotique fait de victoires et de défaites, de larmes et d’éclats de rire, mais surtout de rencontres : on ne guérit pas seul.



Le subjectif : En 2006, j'avais 20 piges, et comme beaucoup de monde, j'écoutais la radio. Comme beaucoup de monde toujours, cette année-là je découvrais la voix rauque et envoûtante d'un artiste sans nom - de ceux que l'on entend et écoute pour la première fois. Ce chanteur, ou plutôt ce "slameur", c'était Grand Corps Malade. Sa chanson, 6e sens. Première plongée dans son univers, dans sa musique, dans ses textes, ce "single" m'a tout de suite conquis, parlé, bouleversé. Il racontait justement l'histoire d'un bouleversement, l'histoire d'une nouvelle façon d'appréhender la vie : celle des handicapés. Celle d'un handicapé, la sienne, Fabien Marsaud. Texte personnel et puissant, 6e sens cherchait plus à tirer des réflexions que des larmes de ceux qui l'écoutaient. Il parlait d'un monde fragile mais de courage où la faiblesse physique devenait force mentale, d'un sixième sens qu'était l'envie de vivre. C'est ce titre qui a le premier parcouru les ondes et diffusé la voix de son auteur. Plus de dix ans et cinq albums plus tard, Grand Corps Malade joint les actes à la parole et illustre d'images animées les puissants textes qu'il a écrit, réalisant avec Patients un premier film aussi fort et drôle qu'intelligent. Poignant.





D'emblée, on est saisi par la dureté de la vie de Benjamin, le héros de Patients. Âgé de 20 ans et lourdement blessé suite à un accident "sportif", il est l'incarnation à l'écran de Grand Corps Malade, qui adapte ainsi sa vie en même temps que son livre, également intitulé Patients. Le long-métrage, co-réalisé avec un autre novice, Mehdi Idir, s'ouvre avec les yeux de ce personnage. On imagine alors le calvaire du jeune homme, sorti du bloc opératoire et transféré de service en service, et on découvre en même temps que lui l'ampleur et la gravité de sa situation. En quelques images, quelques bribes de dialogues entre ambulanciers, médecins ou infirmiers, on sait, et "Ben" avec nous, que son intégrité physique et son statut d'être "valide" sont remis en cause. "Il est à qui le tétra, là ?" sont les tous premiers mots qu'on entend. Brutal, violent, mais réaliste : c'est ce qui attend désormais le quotidien de l'alter-ego de Grand Corps Malade. C'est aussi ce qui nous attend dans Patients, un film qui ne cache aucune galère, aucun moment de solitude, de détresse et de désespoir auxquels sont (souvent) confrontés les personnes en situation de handicap.

L'humour et la musique

Pourtant, tout aussi rapidement que la douleur, l'humour fait son apparition dans les couloirs du centre de rééducation. En quelques vannes lâchées par Ben, à l'encontre de ses comparses ou du personnel hospitalier (comme Jean-Michel, le premier à s'occuper de Ben et qui ne s'adresse à lui qu'à la 3e personne, ou Christiane, la reine des bourdes "qui finira par tuer quelqu'un un jour"), en quelques situations, Patients parvient à nous faire sourire, puis éclater de rire. De petits problèmes du quotidien, de rencontres détonantes (les "désinhibés frontaux" et autres traumatisés crâniens), le film génère des séquences euphorisantes. Plus qu'un exutoire, l'humour devient un mode de (sur)vie ; plus qu'une farce, il devient une force. Une force qui maintient tous ces êtres abîmés à flots, et qui étoffe le film et son propos. Un propos qui sonne souvent juste. Car à côté de ses scènes joyeuses, à côté de ses instants plus difficiles (mais jamais traités avec pathos ni sensiblerie), Patients regorge de pensées sur la vie, sur la maladie, sur le handicap. Le film est une vraie leçon de courage, de résilience, d'abnégation. D'adaptation. A l'instar des textes de ses slams, Grand Corps Malade décoche des phrases qui font mouches : "La première chose à apprendre ici, c'est la patience" ; "Le suicide c'est central ici, ça peut être une porte d'entrée comme une porte de sortie" ; "J'ai un fauteuil adapté, une fourchette adaptée, mais j'ai pas trouvé d'espoir adapté".



Pour porter ces mots, le film peut compter sur un excellent casting composé uniquement d'acteurs valides, alors que Patients a été tourné dans le vrai centre de rééducation de Coubert qu'a fréquenté Grand Corps Malade et que tous les figurants sont de vrais pensionnaires. Dans le rôle titre, Pablo Pauly campe un Fabien Marsaud épatant, mais les acteurs qui jouent ses deux compères Farid (Soufiane Guerrab) et Toussaint (Moussa Mansaly) sont tout aussi convaincants, autant dans les dialogues que dans leur jeu. La mise en scène est elle aussi étonnamment brillante - pour un premier film -, et se distingue par de très belles idées, et nombre de jolis plans. Le plus souvent ces derniers illustrent l'évolution de la rééducation de Ben, avec des travelling ou des passages en accéléré. A chaque fois, ils sont merveilleusement mis en musique, et c'est le dernier point (très) fort du film : comme on pouvait s'y attendre, la BO est à tomber. Le hip-hop des années 90 est fièrement représenté, de Lunatic à Nas, en passant par NTM, The Roots mais aussi Princesse Erika et Pierpoljak. Et si Grand Corps Malade brille par son absence, ce n'est que pour mieux nous toucher durant le générique de fin, d'abord avec le merveilleux et inédit Espoir adapté (voir plus bas), puis avec le titre 6e sens. Oui, son tout premier single. Histoire de signer son premier film, et de boucler la boucle.

" - J'ai l'impression de me retrouver au CP, à force d'écrire des lignes de C et de F..." - Ben
" - Eh ben, écris autre chose..." - Son kiné

Et pour ceux qui ne seraient pas restés jusqu'au générique de fin, voici la sublime chanson Espoir adapté de Grand Corps Malade et Anna Kova :



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