vendredi 24 mars 2017

| Interview ¦ 2/2 ¦ Patrick Mille : Monsieur Hervé, le casting et Motörhead

Sorti le mercredi 22 mars, Going to Brazil raconte la folle aventure de trois copines invitées au mariage de leur meilleure amie au Brésil, mais qui, à peine arrivées à Rio, vont tuer accidentellement un jeune homme trop insistant, et s'embarquer dans un périple trépidant à travers tout le pays, et entre drame et comédie.

 

Après un premier jet de questions/réponses, voici la seconde partie de l'interview de Patrick Mille, rencontré à l'occasion des Rencontres cinématographiques de Cannes en décembre dernier, consacrée à son personnage décalé de Monsieur Hervé, au casting féminin et à ses inspirations et modèles. Rencontre !






 Toxinémane : Le seul personnage qui ne vit pas de drame finalement, c’est celui que vous interprétez, Monsieur Hervé, l’agent consulaire...
 Patrick Mille : Oui, il dit d’ailleurs à un moment « j’adore les conneries ! » Pour le coup Monsieur Hervé c’est vraiment ce qu’on pourrait appeler un personnage de comédie à la française, c’est-à-dire qu’il véhicule une sorte de décalage. Il a envie de se marrer, il aime les bons mots, c’est d’ailleurs le personnage le plus français. Mais en même temps il a un truc complètement pas français, c’est qu’en fait le gars est un grand déjanté. Quand il se déguise en espèce de Birdman, en Ney Mato Grosso, en glamrock brésilien, à faire la chanson de Pierre Barouh, on est quand même dans une certaine démesure et du fantasque.

Quelle est sa place dans Going to Brazil ?
Monsieur Hervé fait partie de ces seconds rôles que Francis Weber appelle les "accélérateurs de comédie", et qu'on retrouve dans ses films ou ceux de De Broca ou Lautner. Chez Weber, par exemple, Depardieu et Richard ne font pas les malins : ils ont un truc à régler, ils ne se supportent pas et ce qu’ils vivent est un enfer. Et c’est ça qui est drôle, c'est ça que j’aime ! Et là-dessus, il y a souvent des accélérateurs de comédie, c’est-à-dire des personnages secondaires qui viennent donner un coup de pouce à l’action, la faire avancer - parce qu’un personnage qui ne fait pas avancer l’action il ne sert à rien, donc faut même l’enlever à l’écriture - mais en même temps qui l'accélèrent. C’est-à-dire que "paf !", d’un coup, le public aime les voir, sait que quand il les retrouve dans le film il va passer un chouette moment, il va se marrer, et ça c’est important parce que les personnages principaux, même si on rit d’eux, c’est pas forcément leur but. Leur but, c’est qu’on y croit et qu’on les accompagne dans leur aventure, qu’elle soit triste ou gaie, d’ailleurs.

Vous vous êtes beaucoup amusé à le jouer ?
Oui je me suis beaucoup amusé avec lui, et dès l’écriture. L’avantage c’est que je m’écrivais le rôle pour moi, du coup avec mon complice et coscénariste Julien Lambroschini on s’est beaucoup amusé en imaginant ce qu’il pourrait dire. Et après, sur le tournage, ça a vraiment été une récréation, parce que le tournage était compliqué, assez dense, c’était pas un film facile. Et du coup c’était une façon de souffler quand je me mettais dedans. C’était d'ailleurs assez facile, parce que quand on a écrit ce personnage, Julien s’est beaucoup inspiré de choses que je pouvais dire ou faire ! (rires)

"Tarantino et De Broca couchent ensemble,
et ça donne
Going to Brazil !
"


Pouvez-vous nous parler du plan hilarant de la « glace » et de l'échange de regards entre votre personnage et celui joué par Alison Wheler ?
On sort complètement de la grammaire du film, tout d’un coup on tombe dans un truc totalement absurde, même s’il y en a d’autres mais celui-là est particulièrement, grammaticalement et même cinématographiquement absurde. Cette scène de la glace c’est délirant, je sais pas comment c’est sorti de mon imagination, on a été dans un délire, puis Alison m’inspire tellement comme actrice que je me suis dit que c’était super d’avoir son regard là-dessus, et ce qu’il se passe dans sa tête à elle surtout. Voir cette fille totalement coincée qui, d’un coup, dans sa tête a des fantasmes les plus absurdes et parfois graveleux même, ça me faisait rire.

C'est un décalage qui fonctionne parfaitement...
C’est typiquement de l’inspiration « Weberienne » on va dire, ces personnages coincés qui tout d’un coup explosent, on adore ça. Il y a interaction avec le public. Parce que finalement, le personnage auquel les femmes s’identifient le plus c’est celui d’Alison (Wheeler, qui joue Agathe, ndlr), au départ en tout cas, elle est un petit plus normale. Il y a sa sœur aussi, les deux essaient de vivre leurs vies comme elles peuvent, et le fait qu’un personnage qui est acculé réagisse tout d’un coup et sorte des mots comme ça, les gens exultent vachement parce qu’eux aussi, parfois, ils aimeraient faire ça, sortir des grossièretés. Une autre chose est importante pour moi, c'est que le spectateur soit en avance sur ce que vivent les personnages. Ce que j’attends du cinéma, c’est que le public réagisse, se dise « qu’est-ce qui va se passer, comment elles vont s’en sortir, pourquoi elles lui disent pas », que ça vive, plutôt que le film soit servi par des vannes ou des situations qu’il connaît trop, je préfère qu'il soit servi par des situations absurdes. Je préfère le « more is more » au « less is more » !

Vous parlez d’interaction avec le public, mais vous ne pourrez pas être présent quand le public découvrira votre film…
Malheureusement non, j’aimerais bien avoir ce don d’ubiquité d’être un peu dans toutes les salles (rires). Ça serait formidable, mais non c’est pas possible. Les avant-premières, les festivals, ça sert un peu à ça, on a des publics souvent différents mais globalement ça donne un bon panel du public de cinéma. Mais il n’y a pas de frustration, au contraire parce que ce qui est génial au cinéma c’est qu’on se dit que le plus grand nombre peut le voir, alors qu’au théâtre, même si on a la chance de faire un succès, c’est toujours limité. Un film, ça vit longtemps. Après ils repassent à la télé, les gens le voient même dans l’avion, et moi c’est ce que j’adore ! On peut me dire "tiens je t’ai vu dans tel film, j’ai adoré", mais même parfois 5-6 ans après, ça fait toujours autant plaisir !

 Alors je vais vous faire plaisir, tout en respectant la demande de mon ami Pierre (Tenreiro, qui joue My Man dans l'histoire de ma vie, ndlr), et en vous disant ce qui est devenu une réplique culte pour nous : "ça pue la choucroute de merde ici !
  (Rires) Voilà, voilà, ben oui, c'est exactement ça ! Un film ça continue toujours à vivre, de différentes manières. C'est cette réplique de 99 Francs qui vous marque, c'est aussi des gens qui n’étaient pas nés quand on l’a fait et qui découvrent le film après, et chez qui ça reste. Ça, cette mémoire-là, c’est super, c’est ça qui est magique dans le cinéma !


Comment avez-vous choisi le quatuor d’actrices principales ?
C’est une très longue histoire, parce qu’entre le moment où on écrit un film et celui où on commence à penser à des actrices, ça bouge beaucoup. C’est le cinéma en général, ça valse beaucoup, j’ai toujours tendance à dire que le rôle qu’on a c’est celui qu’un autre a refusé, en schématisant mais parfois c’est ça (rires). Là on est passé par plein d’évolutions, au départ dans la première version elles étaient hôtesses de l’air donc plus âgées, et puis finalement en réécrivant tout je me suis dit que ça n'allait pas, qu’elles devaient être jeunes. Et plus jeunes c’est forcément des gens qui n’ont pas fait 25 films, donc j’ai fait un casting. Philippine (Stindel, alias Lily, la jeune sœur d'Agathe, ndlr), je l’avais repéré dans Les Mercuriales, Margot (Bancilhon, qui joue Chloé, ndlr), c’était dans un téléfilm pour Arte sur les casques bleus… Y en a aussi qui ont passé deux rôles, par exemple ceux de Katia et Chloé pouvaient être interchangeables. Mais après, il y avait une évidence qui était que Vanessa (Guide, ndlr), que j’avais vu dans plusieurs films, dans son sens de la comédie, dans sa vis comica, était excellente. Surtout, j’ai découvert une actrice qui avait une vraie force dramatique, parce qu’elle a un rôle très difficile à jouer, celui de la mariée Katia. Et puis il y a Alison (Wheeler, ndlr), que je n'ai pas découvert sur Canal mais dans Mon père est femme de ménage et dans Cloclo où elle joue une fan. Je l’avais noté dans un petit carnet où je note toutes mes envies d’acteurs quand je vais au cinéma, et je m’étais dit "elle est géniale cette fille". Après c’est mon agent qui m’en parlé, il m’a proposé de la voir pour le rôle d’Agathe, et tout de suite ça a été évident. Elle est vraiment incroyable, très drôle elle aussi.

 Est-il plus facile de diriger des comédiens en étant soi-même acteur ?
 J'ai la chance d’être acteur depuis longtemps, d’avoir été dirigé par des tas de réalisateurs très différents, pour des films et des genres très différents, donc j’ai appris beaucoup. Mais ce que me donne le fait d’être acteur c’est le fait de savoir qu’on est du même sang eux et moi, qu'on est les mêmes animaux. Certains ont le sang chaud, d’autres le sang froid, mais je les connais, je les aime. Après, j’ai déjà dirigé et mis en scène au théâtre, j’ai été prof à Florent aussi, donc tout ça m’a formé dans ma direction d’acteur, ce n'est pas forcément en l'étant que j’ai appris, parce que chaque acteur est unique. Une chose est sûre, c’est plus techniquement que j’ai l’impression d’avoir tellement de choses à apprendre !

Vous remerciez à la fin du film Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière (réalisateurs du Prénom, ndlr), comptent-ils beaucoup ?
Au-delà d’être des amis chers, ils font partie avec ma femme des seules personnes à qui je fais lire un scénario en général, quand je l’ai écrit et que j’arrive à une première ou deuxième version. Ils font donc partie d’un cercle vraiment de confiance. Ce sont aussi des personnes à qui je montre assez rapidement un premier montage du film, parce qu’ils ont un regard, amical mais également critique, que j’écoute avec attention.

"Je savais que je voulais une comédie rock'n'roll !"


Quels sont vos modèles ?
J’ai eu la chance de travailler une fois avec Francis Weber, il m’a beaucoup apporté, en tout cas je pense souvent à ce qu’il disait sur la comédie, sur la situation, sur le personnage... Après, il y a des tas de modèles, de cinéastes qui m’inspirent. C’est vrai que ce film c’est un mélange de gens qui m’inspirent, de Tarantino à De Broca. Voilà, j’imagine qu'ils couchent ensemble (rires) et ça donne Going to Brazil !

Est-ce que le titre est un hommage à la chanson de Motörhead Going to Brazil, est-ce une source d'inspiration, et est-ce que vous êtes fan ?
Oui ! Tout à fait oui à tout, je suis tout à fait fan, tout à fait triste de la mort du leader Lemmy, tout à fait fana de cette musique, et oui c’est une chanson qui m’a inspiré. En fait j’ai trouvé le titre avant même de trouver l’histoire. Parce que quand j’ai commencé le préambule en disant que c’était une bande de filles à qui il arrive des bricoles au Brésil, je me suis dit qu'il fallait que ça m’inspire. J'avais une idée du ton du film, je savais que je voulais pas faire un drame, je voulais faire une comédie rock’n’roll, et je me suis souvenu, comme je connais bien Motörhead, qu’ils avaient une chanson qui s’appelle Going to Brazil et qui est un rock génial. Alors tous les matins avec Julien on se mettait à l'écouter, et après on travaillait toute la journée, et c’est vrai que ça nous inspirait. Et longtemps j’ai imaginé qu’il y aurait cette musique au début, mais en fait après le film a pris son envol, et la musique a changé. Je trouvais qu’elle n’avait pas sa place, mais par contre ça m’a beaucoup inspiré. Et puis du coup le titre Going to Brazil tout le monde l’a trouvé super, on s’est amusé à faire un visuel marrant au début, et voilà, finalement on l’a gardé. Donc oui, l’inspiration effectivement c’est Motörhead, bravo ! Ça a façonné le style du film, et même aux actrices, parfois, quand je les trouvais un peu molles, j’arrivais et je leur balançais ça sur nos petites enceintes, et ça donnait le « la » quoi (rires).

 Que peut-on vous souhaitez pour la suite ?
▶ J’espère continuer à réaliser des films ! Je ne sais pas encore vers quoi je vais aller pour le prochain, j’ai 2-3 pistes mais je ne sais pas encore. Et puis aussi j'espère continuer à inspirer des réalisateurs, même si j’avoue que depuis que je fais des films je me rends compte que ça prend beaucoup de temps d’écrire, d’imaginer, d’essayer de continuer à faire des films que les gens aiment... Mais ce que je sais c'est que depuis que je suis réalisateur, je m’amuse encore plus comme acteur. Je prends encore plus de plaisir à aller voir mes nouveaux camarades réalisateurs et essayer d’être un acteur disponible. Être acteur et réalisateur d'un même film, c'était la première fois et c’était bien, c’était une expérience très amusante !

En remerciant une nouvelle et dernière fois Patrick Mille pour l'immense plaisir qu'aura été de discuter longuement avec lui, et en vous conseillant fortement d'aller voir son film Going to Brazil (critique ici), voici LA chanson de Motörhead qui a donc inspiré le réalisateur et bercé toute l'équipe pendant le tournage :



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