jeudi 3 mars 2016

| Avis ¦ Saint Amour, raisins et sentiments

Saint Amour de Gustave Kervern et Benoît Delépine

 

Comédie, drame, France, Belgique, 2016, 1H41
Avec Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste
Sortie le 2 mars 2016


L'objectif : Tous les ans, Bruno fait la route des vins… sans quitter le salon de l’Agriculture ! Mais cette année, son père, Jean, venu y présenter son taureau champion Nabuchodonosor, décide sur un coup de tête de l’emmener faire une vraie route des vins afin de se rapprocher de lui. Et s’ils trinquent au Saint Amour, ils trinqueront bien vite aussi à l’amour tout court en compagnie de Mike, le jeune chauffeur de taxi embarqué à l’improviste dans cette tournée à hauts risques entre belles cuvées et toutes les femmes rencontrées au cours de leur périple…


Le subjectif : Pour les présenter, on pourrait résumer les truculents Gustave Kervern et Benoît Delépine aux deux reporters alcooliques et/ou calamiteux Gustave de Kervern et Michael Kael, les deux personnages ô combien iconiques et vitrioleurs qu'ils campent depuis 1992 dans Groland. Ce serait déjà beaucoup, mais tellement peu, au final. Car voilà six longs-métrages que le duo s'exprime sur grand écran, pour le plus grand plaisir de tous les amoureux de leur humour corrosif si particulier, né il y a plus de vingt ans sur Canal. De leur premier film Aaltra en 2004 à Near Death Experience en 2014, les deux comparses n'ont jamais baissé pavillon, continuant à diffuser leur style vindicatif et provocant. À la fois satirique et tendre, fabuleusement facétieux et en même temps profondément humain, le cinéma de Kervern et Delépine ne laisse jamais indifférent. C'est donc avec bonheur et bonne humeur que j'ai retrouvé leur univers dans Saint Amour, en même temps qu'un duo d'acteurs aussi atypique qu'eux, et qui ne leur était pas étranger.


Le premier, Benoît Poelvoorde, est un véritable habitué. On pourrait même parler d'acteur fétiche pour les deux réalisateurs, puisqu'ils l'avaient dirigé jusque-là dans quatre films : son plus grand rôle, en tout cas le plus mémorable, restant celui du punk à chien dans Le Grand Soir avec Albert Dupontel. L'acteur belge a également joué pour eux dans Mammuth, aux côtés du monstre du cinéma français aux plus de 150 films : Gérard Depardieu. Six ans plus tard, les deux hommes se retrouvent dans Saint Amour, où ils campent deux agriculteurs du Morvan, en déplacement au Salon de l'Agriculture. Le fils (Poelvoorde) a pour habitude de faire la route des vins sans bouger de la Foire. Son père (Depardieu) est là pour présenter son plus beau taureau, et pour essayer de faire entendre raison à son fils qui semble se désintéresser du métier d'éleveur. Avec l'espoir de se rapprocher, les deux hommes vont prendre la véritable route des vins, parcourant les différents vignobles en une poignée de jours, dans le taxi d'un jeune chauffeur parisien qui ne leur ressemble en rien, et qui est interprété par l'excellent Vincent Lacoste (Les Beaux Gosses, Hippocrate).



Le premier duo formé par Poelvoorde et Depardieu est magnifique. Alcoolique, chien fou mais aussi terriblement fragile, le fils recherche dans le vin une fuite à un quotidien trop éprouvant. Son père, au physique bourru et à la maladresse affective, est là "pour l'aider à finir quelque chose, un truc qu'il a commencé". Tous deux vont pourtant avancer à petits pas l'un vers l'autre, entre éclats de voix, de rires et de larmes. Ils seront aidés par le jeune chauffeur de taxi, beau parleur, qui commence par prendre de haut ces "deux pécores alcooliques" en bon Parisien qu'il est, les conseillant (excellente scène où il explique à Poelvoorde qu'il faut "donner de la couleur tout en gardant de la gravité" pour séduire les femmes). Avant, lui aussi, de se dévoiler plus complexe et plus frêle. Les fêlures de ces trois compagnons de route sont touchantes, et peuvent sans mal nous mettre la larme à l’œil. Mais l'esprit Groland n'est jamais très loin, dans Saint Amour. Le potache, l'incongru, l'irréel, presque, nous attendent toujours au tournant, pour mieux nous surprendre et nous atteindre. Comme la vision du propriétaire de cette maison d'hôte au rabais, campé par un Michel Houellebecq hilarant en ahuri débraillé mais dévoué à ses invités, comme la relation téléphonique entre Depardieu et sa femme, ou comme tous ces nombreux autres personnages rencontrés ça et là, entre chiens et loups. Le tout savamment mis en musique par l'excellent Sébastien Tellier, qui signe une bande originale au diapason de ce film, à consommer sans modération.

Entre route et biroute, vin et divin

Parmi les personnages rencontrés entre deux canons de vin, il y a des femmes. Beaucoup de femmes. Grand cru après grand cru, bouteille après bouteille, le père, le fils et le "taxi" vont tour à tour, ou tous ensemble, tenter d'approcher, de rencontrer ou d'embrasser l'amour. Ce "Saint Amour" que le titre nous faisait miroiter - mais qui est également le nom d'un vrai vin AOC de Saône-et-Loire. Si certains pourraient craindre une avalanche de mauvais goût ou d'obscénité en imaginant Kervern et Delépine traiter de sexe, qu'ils se rassurent : les deux réalisateurs conservent leur style direct et sans concession, mais au service d'une peinture de l'homme dans ce qu'il a de plus tendre et de plus beau. On ne peut que s'émouvoir devant nos trois héros, trois types paumés plutôt, trois amants perdus face à des femmes qu'ils ne savent pas toujours aborder, et encore moins conquérir. Chacun traîne derrière lui des échecs sentimentaux, comme autant de rendez-vous ratés avec l'amour, avec la jouissance physique et morale.

Une jouissance que l'on retrouve également dans la dégustation du bon vin : la parallèle est vite trouvée. Ces handicapés des sentiments ont aussi des problèmes avec l'alcool, qu'ils aient du mal à le boire, qu'ils l'aient abandonné ou qu'ils l'ingurgitent avec excès. L'ivresse est d'ailleurs le sujet d'une scène très drôle, où le personnage joué par Poelvoorde, se questionnant sur son probable alcoolisme ("en 25 ans à raison de 2 cuites par semaine sans compter les jours de fête, ça fait 2500 hontes qui me reviennent à l'esprit"), énumère les 10 stades de l'ivresse, flashbacks de ses "exploits" à l'appui. Comme le vin, les femmes leur font chavirer la tête, perdre ou entendre raison. Pour autant, Saint Amour n'est jamais misogyne, comme il ne parle jamais d'alcool comme tel, en vérité. C'est un conte qui nous parle d'amoureux oubliés, d'alcooliques par défaut, mais aussi de la solitude et de la rudesse de la vie que subissent parfois les paysans, comme les citadins. Il nous parle de pertes, de découvertes, de retrouvailles, d'amour. De spiritueux et de spirituel. De raisins et de sentiments.

Les 10 stades de l'ivresse :

1. La détente
2. La libération
3. La vérité
4. La torpeur
5. La violence, ou le trop plein d'amour
6. Le pathétique
7. La faim
8. La recherche frénétique du sexe
9. Le sommeil lourd inattendu
10. La honte 



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